Du performatif « pur » dans la danse ?
Michèle Febvre
* : Contrairement aux expressions performatives « je te jure », « je te promets » etc., qui font ce qu’elles disent, nombre d’actes dans les arts de la scène, dans la danse en particulier, ne disent rien, ils s’effectuent, c’est tout; si bien que lorsqu’ils ne sont pas soutenus par un personnage, un texte, une narration quelconque, comme c’est souvent le cas dans la danse, le performatif ouvre (au mieux/au pire!) « des devenirs », pour reprendre la formule de Deleuze (à propos de la narration au cinéma, il est vrai).
« Si le mouvement reçoit sa règle d’un schème sensori-moteur, c’est-à-dire présente un personnage qui réagit à une situation, alors il y aura une histoire ! Au contraire, si le schème sensori-moteur s’écroule, au profit de mouvements non orientés, désaccordés, ce seront d’autres formes, des devenirs plus que des histoires […] » 1
Des « devenirs » et, de là, de « l’éprouvé», c’est-à-dire une « expérience ». En faisant mienne la proposition deleuzienne et en la détournant quelque peu, je dirais que dans la danse « sans histoire » (ex. : Lumière de Paul-André Fortier, Amour, Acide et Noix de Daniel Léveillé, Biped de Merce Cunningham), « le mouvement reçoit sa règle » soit d’une régie interne propre au corps lui-même (celui de l’interprète, infiltré d’altérité) par laquelle s’organisent les tensions et leurs résolutions, dans une sorte d’autorécit/autoreprésentation incarnés où flotte toujours comme une possible référence; soit, à l’autre bout du spectre, « le mouvement reçoit sa règle » de l’effacement radical de tout référent ou tout au moins une tentative d’effacement, voire même de tout soubassement expressif inhérent à la corporéité, au profit d’un état de corps « neutralisé » qui abandonne le spectateur à des figures libres d’affect . C’était la voie de Cunningham à ses débuts, ce pourrait être celle de Daniel Léveillé dans ses dernières pièces. Dans le premier cas, la performativité, nourrie de l’expressivité intrinsèque au sujet, balise l’interprétation malgré l’absence de signes clairs, dans l’autre, elle est à l’écart du sens mais livre une forme sensible –pur percept ?– à l’activité interprétative.
Automne 2006
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1 Gilles Deleuze, 1990, Pourparlers. 1972-1990, Paris, Les Éditions de Minuit, p. 84-85.